L'école de Berck

Groupe, réunion, colonie, de peintres à Berck

2015.2.1

L’école de Berck
C’est la réunion de peintres, autour d’un maître reconnu comme tel, pour une pratique commune où se côtoient professionnels et amateurs, telle qu’on l’ observe par exemple à Arras au milieu du XIXe siècle, autour de Constant Dutilleux (1807 – 1865) et de Camille Corot (1796 – 1875) qui peut pleinement légitimer l’emploi du terme d’école. L’engouement pour la peinture de plein air et les progrès de la mobilité permis par le chemin de fer vont favoriser ensuite la venue régulière, sur une durée et un espace définis, d’artistes travaillant sur les mêmes sujets. Le terme de "groupe" ou de "colonie" semble alors plus approprié, sans minorer pour autant le rôle moteur que peuvent jouer au sein de celle-ci certains d’entre eux, comme les Demont-Breton à Wissant. L’école de Berck naît en 1877 avec l’activité de Ludovic-Napoléon Lepic (1839 – 1889) entouré d’élèves qui se revendiquent comme tels, notamment lors des salons de peinture auxquels ils participent. Leur appartenance à la frange la plus aisée de la société et le partage d’une même sensibilité politique contribuent sans doute à générer cette relation qui tresse un fil conducteur, perceptible du Patron Lepic au cadet Jan Lavezzari (1876 – 1947).

2007.1.2

Berck au temps des peintres
La qualité du site et le pittoresque de sa marine avaient retenu l’attention de quelques éclaireurs dès les années 1860, comme Eugène Lavieille (1820 – 1889) ou, au début de la décennie suivante, Louis Latouche (1829 – 1884). En août 1866 Auguste Renoir, Alfred Sysley et Jules Le Coeur y séjournent, mais on retiendra surtout le séjour d’Édouard Manet (1832 – 1883) en juillet 1873, année où Eugène Boudin (1824 – 1898) mentionne Berck pour la première fois dans un courrier adressé par à son frère. Il y consacrera plus d’une centaine d’oeuvres et études dont la production s’étalera jusqu’en 1894. Cette époque est pour Berck la période charnière où la structure socio-économique héritée de l’ancien régime amorce sous la contrainte l’évolution qui mène à la ville dont seule la topographie trahit aujourd’hui le passé.

Entre 1861 - date de la construction du premier hôpital maritime - et 1881, la population de Berck passe de 2703 à 4590 habitants. Avec un peu plus d’une centaine d’unités dont les tonnages - bridés par l’essor de la motorisation - ne pourront plus progresser, le dynamisme affiché par plus importante flotte de pêche d’échouage française est illusoire. Berck-Ville est le lieu de résidence des professionnels de la mer - les inscrits maritimes - repoussés à 2 km du rivage par le colmatage de l’Arche et dont le nombre décline dès la fin des années 1880. Si ce Berck des pêcheurs est celui qui polarise l’attention des peintres, ces derniers résident dans les nouveaux quartiers de la plage dont les photographies par cerf-volant permettent de mesurer la rapide expansion. Les trois dernières décennies du XIXe siècle sont celles de l’émergence du berck balnéaire et médical. avec, à la suite de l’agrandissement de l’Hôpital Maritime (1869), la multiplication des établissements de santé. À peine découvert par les peintres, l’espace du Berck "authentique", mis à l’épreuve du monde moderne, rétrécit inexorablement !

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Entre 1861 - date de la construction du premier hôpital maritime - et 1881, la population de Berck passe de 2703 à 4590 habitants. Avec un peu plus d’une centaine d’unités dont les tonnages - bridés par l’essor de la motorisation - ne pourront plus progresser, le dynamisme affiché par plus importante flotte de pêche d’échouage française est illusoire. Berck-Ville est le lieu de résidence des professionnels de la mer - les inscrits maritimes - repoussés à 2 km du rivage par le colmatage de l’Arche et dont le nombre décline dès la fin des années 1880. Si ce Berck des pêcheurs est celui qui polarise l’attention des peintres, ces derniers résident dans les nouveaux quartiers de la plage dont les photographies par cerf-volant permettent de mesurer la rapide expansion. Les trois dernières décennies du XIXe siècle sont celles de l’émergence du berck balnéaire et médical. avec, à la suite de l’agrandissement de l’Hôpital Maritime (1869), la multiplication des établissements de santé. À peine découvert par les peintres, l’espace du Berck "authentique", mis à l’épreuve du monde moderne, rétrécit inexorablement !

La relation qui s’établit entre le fils du général qui refusa de devenir militaire et celui du juge, qui préféra au prétoire le plein air, est fondamentale pour le devenir de la peinture à Berck. Jusqu’à sa mort le 1er janvier 1915, Tattegrain en sera le pilier.

2018.8.1

Le "Berck authentique"
Avec Lepic s’instaure une relation affective particulière entre les berckois et «leurs» peintres, ce qu’expriment les termes utilisés par le Bulletin de la plage du 30 août 1883 : ("Encore une fois, c’est Berck, et c’est M. Le Pic qui a peint, comme il sait peindre et comprendre Berck"). La fierté de voir les oeuvres peintes à Berck distinguées à Paris s’accompagne de l’expression d’un certain dépit lorsqu’elles ne sont pas titrées comme telles, ce qui la même année vaut une volée de bois vert à Tattegrain, à propos des Deuillants à Étaples : "Mais pourquoi n’avoir pas indiqué ce sujet comme s’étant passé à Berck? … C’est bien sur la côte de Berck que se passe la scène : rien n’y rappelle la baie d’Étaples" ! La Pêcheuse de crevettes de Tassart est l’objet du même procès en paternité... Le souci du Bulletin de la plage est, avant tout, de profiter de la notoriété acquise au Salon pour attirer le baigneur... Par là même, il contribue à l’inéluctable effacement du "Berck authentique" que déplore Lepic dès 1882 et qui chassera en 1893 Eugène Chigot vers l’estuaire de la Canche. De fait, Lepic préfère utiliser les baigneuses comme support de sa peinture que comme sujet! S’il consent à voir des crinolines, c’est d’assez loin et comme par effraction. Il faudra attendre les années 1900 pour que Charles Roussel fasse aux plagistes une place de choix sur ses panneaux. Eugène Boudin, lui aussi, préfère venir ici "avant l’envahissement des étrangers" et évite la saison estivale.

979.2.3

La mise en place du répertoire
L’attractivité mondaine du Berck des années 1880 - 1910 doit certainement être prise en compte pour expliquer la venue de nombreux peintres, ne serait-ce qu’en raison du confort de logement qui leur est proposé. En juin 1881 et 1882, Mr Viditz, "artiste à Barbizon", prend location dans les maisons Etienne Macquet. Léonie-Marie Hécart, venue en famille de Reims, séjourne Maison Burette. Elle peindra Le départ pour la pêche à Berck-sur-Mer en 1902. Le 11 septembre 1881, Emmanuel Lansyer prend ses quartiers à l’Hôtel de Berck. Le 2 juillet de l’année suivante, Boudin arrive à l’Hôtel du Centre tandis que le 3 septembre Charles Roussel descend à l’Hôtel de Paris. Tout comme "Mr Tassart de Compiègne" dès ce début des années 1880, lui et H. Chapuis (Plage de Berck, 1881) franchissent le pas et deviennent propriétaires. On peut noter qu’on ne trouve aucune mention de résidence d’artiste en dehors des nouveaux quartiers de la plage.

2011.9.1

Le Berck sauvage et saharien
Les chevalets qui s’évadent des ateliers rencontrent, entre Authie et Canche, des paysages à la mesure des ambitions du moment. Le défi des éclairages nuancés et changeants qui modèlent les reliefs dunaires, entre argousiers et oyats, les espaces incertains des mollières et les mutations infligées à la baie par le jeu des marées offrent un challenge qu’après Émile Lavezzari relèveront Jules Breton ou Emmanuel Lansyer. 
Pour Lepic, Tattegrain qui y a installé un second atelier et Charles Roussel, il s’agit aussi d’un territoire de chasse ce qui explique la fréquence de ce sujet dans la peinture berckoise des années 1880 - 1890.

Avec La plage de Berck au pliant, Lepic instaure un modèle de marine qui se distingue par son austérité et par l’emprise, sur la ligne d’horizon, d’un sombre alignement de bateaux échoués hérissés de mâts dépourvus de voiles. Si l’on excepte la revendication du travail "sur le motif" signifiée par le pliant et le yorkshire du Patron, l’argumentaire anecdotique est presque absent, la présence humaine étant réduite au strict minimum. Voici introduite dans le genre Marine une catégorie Nature Morte où le portrait d’épave ferait, en quelque sorte, office de Vanité. Consacré avec Le bateau cassé de Lepic primé au salon de 1877, ce thème est en fait apparu bien plus tôt dans la peinture berckoise. Dès le milieu du XIXe siècle, le boulonnais Hubert- Eugène Bénard (1834 - 1879) localise une de ses carcasses de bateaux sur la plage de Berck.

Il entre souvent dans les compositions d’ Émile Lavezzari puis de son fils Jan, se retrouve chez Francis Tattegrain et resurgira longtemps plus tard chez Louis Montaigu.

La marine d’échouage offre aux artistes des conditions de travail idéales, l’ensemble des sujets étant accessibles de plain pied : préparatifs de pêche, traînage de bateaux, scènes de débarquement, entretien de la coque... Avec sa flotte d’une centaine d’embarquations, le lieu n’a guère d’équivalent dans la France du XIXe siècle, seul le site de Scheveningen près de La Haye (Pays-Bas) pouvant, à cette échelle, lui être comparé. La vogue des cartes postales - Berck arrivant immédiatement après Paris et Lourdes en terme de volume d’édition avant 1914 - contribue à populariser ce répertoire partagé avec les photographes.

2002.2.1

Détails distinctifs
Si l’architecture de sa coque est largement partagée dans l’espace septentrional, la "miche" sur laquelle vient s’appuyer le grand mât une fois affalé est un élément typique du flobart berckois.

Dans la filiation de Ludovic-Napoléon Lepic, Francis Tattegrain puis Jan Lavezzari poussent l’exigence du travail sur le motif loin au large. La qualité de leur transcription des scènes de pêche en haute mer tient à leur expérience personnelle. Accepté au salon de 1879, Au large (page ci-contre) donne la mesure de ce que le Tattegrain des premières années doit au Patron. Quelques années plus tard, il lui donnera une expression plus naturaliste avec Saison du merlan, le cueillage (1895) ou Les filets volés (1905). Francis Tattegrain, 1895. Saison du merlan, le cueillage h.s.t. 157 x 206 cm inv.2008.3.1 Très lié au monde des pêcheurs, Jan Lavezzari traduit avec autant de justesse les allures sous voiles que la mise à mal des flobarts par les mers démontées ou le silence des temps de brume à travers laquelle vent et soleil peinent à se frayer un chemin. C’est aussi à ce trio que l’on doit la plupart des scènes de sauvetage en mer, exercice avec lequel les autres peintres ont, pour la plupart, évité la confrontation.

Personnages de bord de mer
Entre la baie d’Authie et "Terminus" (extrémité nord de la plage de Berck limitrophe de celle de Merlimont), tant la pratique des multiples formes de "pêche à pied" que l’activité des équipages et des matelotes autour du bateau échoué contribuent à l’identité du répertoire des peintres de Berck. Tout comme les photographes, ils disposent d’une galerie inépuisable de modèles pour satisfaire l’appétit de citadins en mal de pittoresque. Les couleurs vives emblématiques du costume des matelotes - blanc des coiffes, bleu et rouge des jupons - animent les compositions et jouent ici le même rôle que les chatoyances des tenues des citadines mises en exergue par les impressionnistes, en rupture avec le terne camaïeu imposé par le conformisme social ambiant.

Détails distinctifs
Le "bonnet-à-quartiers" ou "bonnet-àz’orelles", dont les abattants se maintiennent noués au-dessus du crâne, est le couvre-chef typique du pêcheur de Berck.

La trilogie bonnet blanc ("calipette"), jupon rouge ("pichou") et jupon bleu ("gart’iu") identifie la matelote de Berck dans sa tenue de travail.

991.5.1

Autour de Tattegrain (1887 - 1908) l’apogée
En 1887 avec la reddition des Casselois, Francis Tattegrain manque d’un rien la consécration au Salon des Artistes Français. Celle-ci ne viendra qu’en 1899 (Saint-Quentin pris d’assaut - l’exode - 29 août 1557) avec, en corollaire la commande par l’état de La cérémonie des récompenses - Exposition universelle de 1900 (1904) et la demande au peintre de son autoportrait par la Galerie des Offices de Florence (1902). Les réactions à cette reconnaissance tardive sont révélatrices du rôle central exercé par Tattegrain au sein de l’école de Berck. À côté des notables locaux, comme Mr Barrois ou M’ Soeur Michédez, se manifestent les peintres Charles-Olivier Merson, Jules Lefebvre, Antoine Rochegrosse, Arsène Chabanian, Eugène Thirion ou Jules Adler. En même temps que cette notoriété, les multiples sollicitations dont il est l’objet en 1908, en tant que président du jury, font écho à sa fidélité pour un système en voie de ringardisation. Perpétuant dans la voie naturaliste l’héritage académique transmis par l’enseignement de Jules Lefebvre, il est celui par lequel la personne du peintre s’impose comme un acteur majeur de la vie sociale berckoise. Même s’il garde toujours son pied-à-terre à Paris, boulevard de Clichy, il fait partie des rares artistes véritables résidents berckois. À ce titre, il s’implique dans les dossiers localement sensibles comme l’opposition au projet de "bétonnage" de l’Entonnoir (1878), la lutte contre l’érosion dunaire ou contre les initiatives de poldérisation du sud de la baie d’Authie et le débat sur la pertinence d’une scission des quartiers de la plage. Résolument unioniste, il place au centre de la manchette qu’il crée en 1908 pour le Journal de Berck un marin tenant symboliquement la main d’une baigneuse. L’enseigne du magasin "A l’vraie mod’ ed’ Berck", réalisée au sommet de sa gloire, affirme le lien privilégié qui le lie à la population locale.

"OEuvre d’initiative privée et de charité publique", l’Asile Maritime destiné à recueillir vieux marins et matelotes dépourvus de soutien familial est fondé en 1891 par un petit groupe de notables au sein duquel Tattegrain et son amie, la baronne James de Rothschild, sont des acteurs déterminants. L’investissement de Tattegrain, président du conseil d’administration, va conférer à cet établissement un rôle tout à fait particulier dans le développement de l’activité artistique à Berck. La promotion de l’Asile devient partie intégrante de la carrière de Tattegrain qui envoie au salon de 1894 Les quêteuses de l’asile des vieux matelots, Berck-sur-Mer, toile acquise par l’état pour le musée de Calais et détruite en 1940. Dès 1891, une tombola biennale est instaurée pour récolter des fonds. Au fil des ans, ce sont plus de 80 contributeurs sollicités par Tattegrain qui enverront peintures, dessins et eaux-fortes. La baronne achète en outre des oeuvres pour augmenter le nombre des lots ! Outre les peintres "berckois" comme Roussel, Lavezzari, Chambon ou Trigoulet, figurent dans la liste des membres des colonies de la baie de Somme (Gagliardini, De Montholon, Siffait de Moncourt), d’Etaples (Chigot, Vail) ou de Wissant (Demont-Breton). Si les amis proches, comme Shonborn ou plus tard Pinta, font logiquement partie des mécènes, même Besnard peu amène à l’égard de Tattegrain y fait une apparition en 1897! La nomenclature utilisée pour classer les contributeurs à la première tombola organisée après la fin de la guerre (et après la disparition de Tattegrain),dans le procès-verbal de l’assemblée générale du 18 août 1920, est éloquente. Les peintres y sont classés en deux catégories : "nos artistes berckois" (Charles Roussel, Jean Lavezzari, Chambon) et "les amis de Tattegrain, étrangers à l’oeuvre" (Shonborn, Desvareux, Doudement, Delorme, Pinta et Lechat). Henri Pinta, 1910 (vers). Asile Maritime de Berck, le réfectoire des femmes h.s.t. 44 x 55 cm inv.2014.7.1 la galerie des portraits des pensionnaires : un ensemble unique en France Habituellement accrochés dans le parloir de l’Asile, les portraits des pensionnaires peints par Francis Tattegrain présentés au premier étage de la Galerie des Machines dans la section des oeuvres sociales, lors de l’exposition universelle de 1900, y obtiennent une médaille d’or. Si "les portraits constituent le musée de l’oeuvre", ils font aussi partie d’une "réserve artistique" conçue comme un fonds de garantie dans lequel il est possible de puiser pour pallier à d’éventuels manques de ressources. Certains ont servi de lots pour les tombolas, comme sans doute celui de Chrisostome Magnier. En indiquant "Notre ami et bienfaiteur Charles Roussel, élève de Tattegrain, nous a offert de prendre les portraits de ceux des pensionnaires de l’Asile que notre regretté président n’avait pu faire", le procès-verbal de l’assemblée générale de 1916 montre combien l’ OEuvre est consubstantielle à l’école de Berck. Il est d’ailleurs significatif que l’idée même de "musée" à Berck lui ait été doublement associée. Lorsqu’à l’initiative de Victor Lavoisier, il sera question de créer en 1904 un établissement ouvert au public, c’est en premier lieu "dans le terrain de l’Asile Maritime" qu’on envisagera de l’établir ! En tête du descriptif des collections envisagées, on retrouve élargi le noyau dur des donateurs de l’Asile (cf. ci-dessous, Le Journal de Berck du 20 mars 1904) où se côtoient peintres confirmés et "amateurs
de talent" au nombre desquels apparaissent les pratiquants de la photographie. Lavoisier évoque ensuite l’existence d’un environnement propice où se mêlent artistes et collectionneurs. Le rôle fédérateur joué par l’Asile consacre, d’une certaine manière, la place centrale occupée par Tattegrain pendant les deux décennies qui suivent l’ouverture de l’établissement. C’est aussi pendant cette période que l’activité artistique est la plus foisonnante. Au cours du seul été 1904, la "liste des baigneurs", par laquelle le journal de Berck signale les nouveaux arrivants, signale le séjour des peintres Boyle, Laronze, Nozal, Ravaut, Besnard, Johanson, Seratzki, Chambon et de la famille Carrier-Belleuse. Me Emile Zola descend à l’hôtel de la Terrasse le 1er septembre de la même année. Cet échantillon est significatif de ce qui contribue à l’originalité de la colonie berckoise à son époque.


Pour raison de santé
C’est pour faire soigner leur enfant que viennent, en 1904, Jean Laronze, Alexandre Nozal, Albert Besnard et Marius Chambon. Bien d’autres s’approprieront le répertoire berckois dans des circonstances identiques. Fernand Quignon (1854 - 1941), "le peintre des moissons", y fait des séjours répétés depuis 1899. Le docteur Ménard soigne, à l’Hôpital Maritime, la tuberculose osseuse de sa fille Germaine qui se liera d’amitié avec la fille de Francis Tattegrain, Thérèse. Ce relationnel est favorisé par leur affinité commune avec les Demont-Breton de Wissant.Albert Besnard, le plus célèbre des membres de cette "colonie médicale", a confié son fils depuis 1896 aux bons soins du docteur Calot. Plusieurs marines - sujet très inhabituel chez cet artiste - témoignent de ces années berckoises. Le décor intégral de la chapelle de l’hôpital Cazin- Perrochaud qu’il exécute en remerciement entre 1898 et 1901, aidé de ses élèves de son épouse, constitue selon le biographe Camille Mauclair "un des plus beaux ensembles de peinture murale que l’art moderne ait produit", unique dans cette époque d’épanouissement des arts décoratifs. Contrairement à Fernand Quignon, Albert Besnard garde une certaine distance avec la scène artistique locale et particulièrement avec Tattegrain qu’il ne semble guère apprécier. 

Tattegrain reste fidèle au salon traditionnel et à la Société des Artistes Français tandis que Besnard est l’un des fondateurs de la Société Nationale des Beaux Arts (1889). Hors normes, le décor de Besnard met en exergue la rareté des créations aux accents symbolistes inspirées par la vocation hospitalière de Berck, comme la toile consacrée par Eugène Thirion à "Origine de l’institution des établissements hospitaliers de Berck-sur-Mer" (1888) ou l’étonnant "Tobie et l’Ange" relocalisé en baie d’Authie par Charles Roussel. Seul le monument aux docteurs Cazin et Perrochaud, de Marie Cazin (1893) qui met en scène "la Science et la Charité" (et non Marianne-Toute-Seule comme cela a souvent été faussement affirmé) relève du même esprit.

Si contrainte soit-elle, cette parenthèse berckoise s’avère particulièrement féconde pour certains artistes comme le chantre de la Bourgogne, Jean Laronze (1852 - 1937), qui lui réserve la totalité de ses envois au Salon de 1905 à 1909, avec récidives en 1920, 1929 et 1931. Les séjours répétés qu’impose à Alexandre Nozal (1852 - 1929) le traitement de son fils valent à ce paysagiste au long cours, connu pour ses marines bretonnes, de devenir sans doute l’aquarelliste le plus prolifique entre Canche et Authie. L’hospitalisation d’un proche fait certainement partie des causes qui expliquent le nombre élevé d’artistes, répertoriés à Berck entre 1880 et 1914 et dont seul un nombre très limité d’ oeuvres trahit le passage. La mise en évidence de la motivation de tels séjours, par exemple par le biais d’une correspondance, reste très aléatoire.

Du provisoire au définitif

L’inflexion prise par la carrière de Marius Chambon (1876 - 1962) est beaucoup plus radicale. Ce méridional bien installé sur la scène parisienne (il est professeur de dessin à la Ville de Paris), médaille d’or en peinture et en gravure au Salon des Artistes Français, vient loger en 1904 aux "Coquelicots" pour faire soigner sa fille à Berck. Peu à peu, le répertoire marin prend le dessus sur l’art du portrait où sa notoriété lui avait valu la commande de l’effigie officielle du président Loubet. C’est lui qui, en 1933, fondera la Société Berckoise d’Encouragement aux Arts et contribuera ainsi à perpétuer le souvenir de l’école de Berck.

Eugène Trigoulet, l’élan vers la modernité

Arrivé à Berck en 1898, Eugène Trigoulet fut sans nul doute le transfuge médical le plus remarquable de la colonie berckoise. De 1900 à 1907, il envoie plus d’une dizaine de toiles inspirées par la marine locale au salon des artistes français. Comme Marius Chambon, il s’approprie le répertoire berckois au point de voir cette seule période prise en référence pour la postérité par Gustave Geffroy dans sa présentation de l’exposition rétrospective à la galerie Allard du 30 janvier au 10 février 1912 ("le peintre de Berck, de la plage, des barques, des hommes et des femmes asservis au labeur de la mer"). Formé dans la tradition académique (second grand prix de Rome en 1892) et professeur de dessin aux écoles de la ville de Paris, "il s’était consacré aux marins depuis 1898" (Le Journal de Berck du 12 juin 1910). Reconnu comme l’un des représentants majeurs de l’école de Berck, il s’y distingue surtout par des audaces picturales en rupture avec la ligne développée par Francis Tattegrain et ses amis.

Certaines oeuvres d’Eugène Trigoulet, comme Matelotte du salon de 1901, Matelotte à Berck- Ville de la même année ou le Marché du poisson à Berck du salon de 1904 (Assistance Public Hôpitaux de Paris, Hôpital Maritime de Berck) affichent un esprit proche de la veine naturaliste sociétale développée parfois par Francis Tattegrain et plus souvent par Jules Adler. 

Tout au long de leur pourtant longue carrière, ni Francis Tattegrain, ni Charles Roussel ne vont modifier de façon significative leur approche de la figure, ce qui n’est pas le cas d’Eugène Trigoulet. L’adoption presque systématique de compositions sans ciel ou presque, à l’arrière plan réduit à une fonction de fond coloré, accentue la présence de personnages dont le traitement évoque parfois l’univers des expressionnistes. Dans cette veine, sa Matelote au teint blême fait figure d’ovni dans la peinture berckoise ! Tout aussi originale, sa vision des scènes archétypiques de la peinture berckoise (départs, échouages...) s’écarte résolument des standards postimpressionnistes. Il est le seul chez qui le geste affranchit le trait du service exclusif des contours pour dynamiser des compositions à la gamme chromatique restreinte. Le goût dont il fait parfois preuve dans les scènes animées pour la frontalité et le traitement des personnages fait plus écho à l’approche d’Albert Besnard qu’à celle de la mouvance de Tattegrain. Parfois rapproché de Daumier (Élégantes sur la plage, Le partichage...), il fait preuve d’un éclectisme l’amenant à la lisière du fantastique. Les Deuillantes regroupe, devant la forêt des croix, les femmes en mantes noires autour de l’embrasement des cierges sur les tombes du cimetière de l’église Saint-Jean Baptiste. L’ouverture aveugle des capuches accentue le caractère spectral de cette assemblée tandis que par un retournement audacieux, l’entrée de l’église prend des allures de gueule du Léviathan!

Épilogue
En 1909, Jan Lavezzari achève la décoration de l’hôtel de ville, véritable mémorial du Berck "authentique" et, en soi, théâtre de nostalgie dont les quartiers de la plage sont totalement absents. Lors de son décès, Bateaux échoués orphelins de leur grément sont sur son chevalet : mélancolie... L’année suivante et cinq ans avant celle de Francis Tattegrain, la mort d’Eugène Trigoulet sonne le glas de l’école de Berck dans le sens où, avec lui, disparaît le seul peintre que son tempérament portait vers l’innovation. Elle précède de peu la première guerre mondiale après laquelle Berck aura perdu son pouvoir d’attraction sur un monde de la création artistique pour lequel la transcription du réel n’est plus le principal objectif. Nuit à Berck proposé par Georges Maroniez au salon de 1914 marque la fin d’un temps où les spécialistes du genre, comme Georges Ricard- Cordingley (1873 - 1939), inscrivaient les bords de l’Authie sur leur itinéraire. Le passage de Pierre Gatier en 1922/1923 ne doit pas faire illusion : désormais l’annuaire des peintres de Berck ne s’enrichira plus. La longévité de Charles Roussel († 1936), Jan Lavezzari († 1947) ou Marius Chambon († 1962), le parcours anachronique de Louis Montaigu (1905 - 1988) s’inscrivent plus dans la mémoire postimpressionniste d’un Berck que la seconde guerre réduira à l’état de souvenirs que dans une transition vers la modernité.